Razor Blade

Article paru dans LOENKE-Propos recueillis par AB

Série Mirror Black, Finlande 2011©David Samblanet

Voici David Samblanet, photographe ou chercheur en photographie. En effet, David aime expérimenter, il ne se contente pas de capturer des scènes de vie ou des natures mortes, il vit ses photographies et leur donne ainsi un sens profond. À chaque fois, il crée une nouvelle image inspirée de la richesse et de la diversité de son expérience d’être humain, à laquelle il ajoute une bonne pincée de son âme d’artiste. Il travaille la photographie numérique tout en conservant l’authenticité de la photographie traditionnelle. Son univers empreint d’une certaine poésie et mélancolie m’a touché, aussi, j’ai souhaité vous présenter « Razor Blade » et « Mirror Black ».

Pouvez-vous nous présenter votre parcours photographique ?

J’ai d’abord étudié le dessin pour me rapprocher ensuite de la photographie, j’ai commencé jeune vers l’âge de 15 ans à me passionner par l’image. Dans les grandes lignes, j’ai eu un itinéraire professionnel jalonné d’une succession d’emplois et de formations en photographie pour pouvoir maitriser les nombreux aspects dans ce domaine – l’école des Gobelins à Paris 13 pour deux années en section “ retouche photographique ” a été particulièrement formatrice. Tout au long de mon parcours en tant que photographe professionnel, j’ai beaucoup étudié les travaux des autres, c’est indispensable.
J’ai ouvert et fait vivre pendant 5 ans par des expositions de photographes nationaux et internationaux une galerie dans un village de l’Aude à Fabrezan(11) où était né en 1842, Charles Cros, imminent poète, inventeur du phonographe, on lui doit l’origine du vinyle et surtout l’un des procédés pour la photographie des couleurs qui est encore aujourd’hui d’actualité.
Mes origines identitaires, des rencontres, des épreuves, des recherches, de la ténacité voire de l’entêtement, des résidences en France et à l’étranger, des voyages, des expositions, des deuils, des lectures, des méditations, ma famille, en bref c’est par la compilation d’une multitude de faits et par la diversité de toutes ses strates que s’est bâti mon identité d’artiste en parallèle à mes activités passées de photographe professionnel – en conséquence c’est particulièrement grâce à la pratique de la photographie, à l’art, à la culture que je continue de suivre un cheminement basé sur de nombreuses expériences présentes, passées et à venir.

Comment procédez-vous pour vos recherches photographiques ? Car j’ai remarqué une étude de matière et de superpositions intéressantes.

Je suis né d’une mère Allemande et d’un père Français, cette double nationalité a toujours eu une influence majeure dans mes recherches en photographie : le double, le miroir, la double image qui supplante à la photographie – un entre-deux qui fait un trait en commun avec ma propre histoire par cette cénesthésie temporelle, un temps-rupture qui navigue entre passéité et l’être là. Un milieu difficile à saisir entre l’être et le non être, la relation complexe entre identité et temps préfigure également pour la photographie. Cette double culture française et allemande est une explication pour ce qui m’obsède  et qui fait que techniquement je me sers de superpositions ou de l’utilisation d’objets pour la représentation de mes images. Les potentialités de création de la photo numérique en maitrisant les techniques et les outils me permettent de mieux faire partager mes univers avec le public, tout en conservant le côté traditionnel de la photographie, je veux dire que pour l’instant, je ne souhaite pas composer des images comme des dessins numériques. Il m’arrive aussi de travailler comme un archéologue sur mon histoire, je fouille, je revisite mon passé au travers d’images, de souvenirs que j’ai accumulé, il y a un décalage, voire de nombreuses années entre le moment ou j’ai photographié et la constitution d’une nouvelle série qui est parfois composée de photos qui peuvent avoir des années d’intervalle, c’est le cas pour la série « Razor Blade ».

Série Razor Blade©David Samblanet

Il y a deux séries qui m’ont beaucoup plu ! Il s’agit de « Mirror Black » et « Razor Blade ».

Peux-tu nous raconter leur histoire ?
La série « Mirror Black » a été réalisée en Finlande en février 2011 quand j’étais en résidence, un séjour échelonné sur plusieurs mois à des saisons différentes pendant deux ans. J’ai visité de nombreux musées notamment à Helsinki comme le “ National Muséum ”, le “ Musée Ateneum ”, j’ai été émerveillé par les œuvres des peintres Finnois du XVIIIe et XVIIIIe siècle, surtout par des œuvres à fonds noirs qui ne laissaient apparaître que la clarté et les lueurs sur les modèles – au regard de ces tableaux et par la luminosité qui semblait de prime abord inexistante mais essentielle, j’ai ressenti une grande admiration pour ces représentations. En Finlande surtout en Laponie, il arrive qu’en hiver le soleil ne se lève pas pendant la période  dite “noire” appelée la nuit polaire ou “ Kaamos ” en finnois, je trouve fascinant à imaginer les peintres, malgré le manque de jour, fixer ce qui était à peine perceptible à l’œil pour laisser un témoignage, une trace de cette atmosphère mystérieuse. Mes pérégrinations m’ont guidé vers le miroir noir ou miroir de Claude Lorrain qui était un outil du XVIIIe siècle dont se servaient les artistes, les connaisseurs, les voyageurs. Cet accessoire était réputé et employé couramment en Angleterre par les artistes paysagistes, c’est un petit miroir à la surface convexe et teinté d’une couleur noir. C’est dans cet état d’esprit que c’est échafaudé “ Mirror black ”.

Pour “ Razor Blade ”, 

c’est une série qui colle avec une vision actuelle de la vie, au côté tranchant, le rasoir qui peut tailler cruellement mais qui peut aussi libérer la tension qui nous oppresse, c’est à l’image de nos difficultés quotidiennes que nous traversons tous avec des grands moments de joie qui contrebalancent avec des épisodes tragiques, un côté  “ Kafkaïen ” que je ne renie pas, ma vie est balafrée d’évènements qui m’ont tailladé à l’intérieur.

Comment as-tu imaginé le concept de Razor Blade ?
Probablement pour me libérer, là, ou je ne pouvais pas mettre des mots. Photographier c’est écrire, on utilise un appareil comme moyen pour s’exprimer, aussi ont fait des trous au temps, on l’arrête, on le fige à un instant précis que l’on choisit, ensuite on fixe l’image, dans mon cas il n’y a pas systématiquement d’explication sur ce que j’ai voulu photographier.

Quelle est ta démarche lors de ton choix des photos à superposer sur la lame de rasoir ?

Comme je te l’ai dit précédemment, j’ai un rapport particulier avec les photos que j’ai faites, c’est comme un puzzle, je cherche les pièces qui manquent, celle que je peux mettre ensemble, celle qui vont s’accorder,  le puzzle peut composer un autre puzzle, une autre histoire si tu préfères, je peux mélanger des photographies récentes avec les anciennes. J’ai compris récemment que j’avais anticipé certaine de mes prises de vues pour créer mes séries d’aujourd’hui même si cela peut paraitre absurde mais dans mon cas, j’ai besoin de cet espace-temps.

Pourquoi une lame de rasoir ?

La scarification des adolescents est un phénomène en progression, le but au départ est de vouloir soulager une douleur morale mais comme toutes les addictions il ne faut pas les entretenir et en devenir les esclaves, en être prisonniers alors je pense qu’il vaut mieux en parler, écrire, s’exprimer pour évacuer son vague à l’âme, j’ai choisi la lame car elle est tranchante, une attirance pour le soufisme, une image en cache une autre, l’apparent et le caché nous enseignent…

Série Razor Blade©David Samblanet

J’aime beaucoup l’effet neige de « Mirror Black », est-ce que l’effet voulu est celui d’un vieux miroir abîmé ?

Oui, tu as raison, visuellement, l’effet laisse imaginer un vieux miroir piqué par le temps mais les dessous de cette série sont autres. En Finlande à Turku, au mois de février 2011, j’ai découvert dehors dans la rue et dans le froid de l’hiver, un grand miroir noir qui était morcelé par des cristaux de glace, la série « Mirror Black » est née de cette attention, il n’y a aucune superposition à la prise de vue, aucune en post-production, tout était apparent dans le miroir noir, les cristaux de glace, la lumière, les passants qui ne me voyaient pas puisque je leur tournais le dos. Mais ce qui ne se voit pas sur les images et heureusement, ce sont mes mains gelées pendant le shooting … Propos recueillis par AB

Une réflexion au sujet de « Razor Blade »

  1. Monique Deleuze Dordron dit :
    Super David …. Mes modestes mots pour cet interview et plusieurs points me relient a mes filles et mon petit fils… donc, ceci pour ma part m’a fait voir d’autres impacts sur ceux qu’ils font aussi, avec la photographie!
    Et ton travail apparait d’autant plus important car, parfois, pour le public, l’artiste ne se livre pas suffisamment….. et le public a juste, un besoin pressant, pour en comprendre toutes les subtilités de ce, qu’est « l’Image »… qui, dévoile d’ailleurs un regard ouvert vers la compréhension de votre Art …. et une grande partie de l’Imaginaire !
    Comme d’ailleurs, le fait d’ouvrir vos Ateliers au public et dont j’ai été ravie de faire « un petit bout » de l’expo du mois d’octobre dernier “ Artistes en Campagne “ !
    Merci de vos partages !
    Monique Deleuze Dordron

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